- LOCICIRO Stéphanie
- ERNST Marie-Lousie
- SIMONSON Thomas
- BIZE Raphaël
Les comportements face au VIH et autres IST des travailleuses et travailleurs du sexe en Suisse. Enquête SWAN 2016
Abstract
Méthode
Pour la première fois en 2016, une enquête a été menée auprès des travailleuses et des travailleurs du sexe (TS) exerçant en Suisse. Cette étude, nommée SWAN (Sex Workers ANswers), s’inscrit dans le dispositif de surveillance du VIH et des autres IST en Suisse, établi par l’Office fédéral de la santé publique. Les critères d’inclusion pour participer à cette enquête comprenaient toute personne (hommes, femmes, personnes transgenres et intersexe) ayant 18 ans ou plus et ayant eu des rapports sexuels en échange d’argent au cours des douze mois précédent l’enquête en Suisse.
Deux stratégies complémentaires d’administration du questionnaire ont été mises en oeuvre : un questionnaire Internet auto-administré et un questionnaire disponible sur une tablette numérique administré soit en face-à-face soit par les TS seul-e-s. Le questionnaire était entièrement anonyme et les données ont été traitées de manière confidentielle. La plateforme électronique d’hébergement du questionnaire était doté du « responsive design » (format du questionnaire s’adaptant automatiquement aux ordinateurs fixes, aux tablettes numériques et aux Smartphones) et le questionnaire était disponible en sept langues : français, allemand, anglais, portugais, espagnol, roumain et hongrois. Le recrutement a principalement été réalisé par l’intermédiaire de professionnel-le-s du terrain (membres du réseau APiS, intervenant-e-s, médiateur et médiatrices, travailleurs et travailleuses sociaux) formé-e-s à l’utilisation de tablettes et à la passation du questionnaire.
Résultats du recrutement et faisabilité
L’enquête SWAN a recruté un échantillon de 579 TS (545 en par l’intermédiaire des enquêtrices et des enquêteurs et 34 par auto-administration sur Internet) réparti sur tout le territoire Suisse. La faisabilité d’une telle enquête auprès des TS en Suisse est donc établie. Elle demande par contre une forte implication d’un réseau solide de professionnel-le-s couvrant le territoire Suisse.
Caractéristiques socio-démographiques
La population de TS interrogé-e-s est composée en grande majorité de femmes (92.0%) mais aussi d’hommes (3.8%) et de personnes transgenres MtoF (3.6%). Les TS interviewé-e-s ont entre 19 et 67 ans avec une moyenne d’âge de 33.5 ans. Une stratification par classes d’âge montre que 18.7% des TS ont moins de 25 ans.
Plus des deux tiers (70.3%) des TS ont un niveau de scolarité inférieur ou égal à l’école secondaire ou formation professionnelle. La nationalité des TS montre que les régions du monde les plus représentées sont l’Europe orientale (41.7%), l’Amérique Latine (27.4%), l’Europe occidentale et centrale (17.5%) et dans une moindre mesure, l’Afrique Sub-saharienne (10.2%).
L’autorisation de séjour des 90 jours est le statut de séjour le plus fréquemment mentionné (36.4%), suivi du permis B (20.8%). 15.4% des TS ont déclaré être sans statut légal en Suisse. Seul-e-s 8% des TS interrogé-e-s ont la nationalité suisse.
Etat de santé général
Même si la grande majorité des TS se déclarent en bonne à très bonne santé (78.0%), cette proportion est passablement inférieure à celle de la population générale (85.5%) (Enquête Suisse sur la Santé 2012). L’état de santé auto-évalué se péjore avec l’avancement en âge.
Accès aux services de santé et de prévention
Plus des trois quarts des TS (76.8%) savent où s’adresser pour faire un test de dépistage VIH/IST en Suisse. La moitié des TS (51.3%) ont déclaré avoir été en contact avec une personne faisant de la prévention au cours des douze derniers mois. Le matériel de prévention (préservatifs / fémidoms) semble être largement diffusé gratuitement (73.4%) et jugé reçu en quantité suffisante par une majorité des TS (70.1%).
Conditions d’exercice du travail du sexe
Les motifs économiques sont les plus fréquemment mentionnés pour expliquer l’entrée dans le travail du sexe (56.3% pour aider la famille, 29.9% pour subvenir à ses propres besoins, 24.7% pour payer ses dettes).
Les lieux de prise de contact avec les clients sont multiples. Les salons de massage (29.9%), Internet (25.4%), les bars à champagne (24.4%) et la rue (21.4%) sont les lieux principaux de prise de contact avec les client-e-s au cours des trente derniers jours.
Activité sexuelle et comportements préventifs
En moyenne, le premier rapport sexuel tarifé a eu lieu après le premier rapport sexuel dans la vie.
L’âge médian au premier rapport hétérosexuel est de 15 ans pour les TS hommes et de 17 ans pour les TS femmes. Les hommes sont également plus précoces que les femmes concernant le premier rapport sexuel tarifé avec un âge médian de 18 ans versus 23 ans pour les femmes. Notons que 10.6% des TS étaient mineur-e-s lors de leur premier rapport sexuel tarifé.
Le nombre moyen d’années passées dans le travail du sexe s’élève à 9 ans (SD=8) pour l’ensemble des TS interrogé-e-s ayant eu des rapports sexuels tarifés avec un homme.
Au cours de la dernière semaine, les TS ont rapporté avoir eu un nombre moyen de 8.5 clients (médiane à 7, min-max : 0-65 client-e-s). En moyenne, les TS ont eu entre 5.7 client-e-s les semaines calmes et 15.7 client-e-s les semaines chargées. Rapporté au nombre de jours dans une semaine, les TS rencontrent environ entre 0 à 2 client-e-s par jour.
Les problèmes de préservatif lors de rapports sexuels avec des clients au cours des douze derniers mois sont fréquemment rapportés (35.6% déchirure, 28.6% glissement) mais également l’enlèvement intentionnel par le client (30.1%).
La majorité des TS (70.1%) n’ont jamais eu de pratiques à risque telles que fellations ou pénétrations sans préservatif, sang/sperme dans la bouche au cours du dernier mois. Cependant, 25.5% ont pratiqué des fellations sans préservatif et 14.5% ont eu des rapports pénétratifs non protégés. Les raisons les plus fréquemment rapportées de non utilisation du préservatif ont trait au client (il payait plus (34.2%), ne voulait pas (22.8%), confiance de la TS vis-à-vis du client (21.5%), peur de le perdre (19.6)).
Avoir été en contact avec une personne faisant de la prévention au cours des 12 derniers mois est associé avec une probabilité moindre d’avoir eu un rapport sexuel sans préservatif au cours des 30 derniers jours avec un client, y compris après ajustement statistique.
Lors du dernier rapport sexuel tarifé avec pénétration, 89.7% des TS ont déclaré avoir utilisé un préservatif.
Environ la moitié des TS ont eu un partenaire stable (52.6%) au cours de la dernière année et 75.3% ne se sont pas systématiquement protégés lors de rapports pénétratifs. Parmi ces dernier-e-s, 48.2% ont fait un test VIH avec leur partenaire avant d’avoir des rapports sexuels sans préservatif, mais 54.4% déclarent également avoir eu au moins un problème de préservatif avec un client au cours des douze derniers mois.
Connaissances sur le VIH et les autres IST
Une large majorité des TS ont de bonnes connaissances sur le VIH : 90.1% savent que le préservatif peut réduire le risque de transmission et 80.9% savent qu’une personne en bonne santé peut avoir le VIH.
Les TS les plus jeunes, les moins formées et originaires d’Europe Orientale ou d’Afrique Sub-saharienne ont tendanciellement de moins bonnes connaissances sur le VIH.
Recours au test VIH
Les trois quart des TS ont déclaré avoir fait un test pour le VIH au cours de la vie (75.0%) et les deux tiers au cours des douze derniers mois (66.1%). Sur cette dernière période, les TS ont réalisé en moyenne 1.3 tests (Min-max : 0-13 tests).
Plus de la moitié des TS ont réalisé leur dernier test VIH à l’étranger (56.0%), 18.2% chez un médecin en cabinet privé en Suisse, 12.5% dans un hôpital ou une clinique suisse et 7.1% dans un centre de dépistage Checkpoint.
Parmi les TS testé-e-s au cours de la vie pour le VIH, la quasi totalité a déclaré un statut séronégatif. Trois personnes ont déclaré être séropositives (1 femme, 1 homme et 1 personne transgenre MtoF), deux d’entre elles sont en traitement antirétroviral.
Pour les TS n’ayant jamais fait de test VIH au cours de la vie, les raisons majoritairement mentionnées sont de penser ne pas avoir de risque d’être contaminé (25.5%) et de ne pas avoir pensé à faire de test (25.5%). Le manque d’information (18.1% ne sait pas où s’adresser) et la peur de connaître le résultat (14.9%) ont également été évoqués. A noter que le coût du test ne semble pas être identifié comme un frein majeur, dans la mesure où il apparaît en cinquième position (12.8%). Quatre travailleuses du sexe justifient de ne jamais avoir fait de test VIH car elles pensent être déjà séropositives au VIH, mais préfèrent ne pas le savoir.
Les IST autres que les VIH
Le niveau d’information sur les IST autres que le VIH est encore limité : 64.1% des TS savaient déjà qu’une IST peut être associée à une sensation de brûlure, d’écoulement, au niveau du pénis/vagin et 58.9% savaient qu’une IST peut être asymptomatique.
Au cours des douze derniers mois, 47.5% des TS ont fait un test pour les IST autres que le VIH, 36.3% n’en ont pas fait, 7.9% n’ont pas souhaité répondre et 8.2% ne savaient pas.
Les prévalences rapportées des IST et du VHC, parmi les TS testé-e-s au cours des 12 derniers mois, sont importantes : 15.3% ont déclaré avoir reçu un diagnostic positif pour l’infection à chlamydia, 14.1% pour la syphilis, 13.2% pour la gonorrhée, 12.8% pour le HPV, 12.3% pour le VHB et 10.4% pour le VHC. Cependant, de nombreuses inconnues ayant trait aux circonstances de l’infection par une IST limitent l’interprétation de ces données : le pays où les TS se sont infecté.e.s, la prise d’un traitement, mais également la voie d’infection (client ou partenaire stable).
La PEP (Prophylaxie post-exposition)
Il existe des lacunes quant à la connaissance de la PEP en général : 61.4% des TS n’ont pas entendu parler de la PEP ou du traitement d’urgence. Seul-e-s 28.1% en ont entendu parler et se sentent bien informé-e-s à ce sujet.
Parmi les TS ayant entendu parler de la PEP (N=217), la proportion de TS ayant reçu une prescription de PEP est faible (17.5%). Aucune différence statistiquement significative n’a été observée concernant la prescription de la PEP au cours des 12 derniers mois entre les TS ayant eu un problème de préservatif (12.6% ; IC [6.7 ; 21.0]) et les TS qui n’en ont jamais eu au cours des 12 derniers mois (18.0% ; [11.4 ; 26.4]).
Les violences sexuelles
La proportion de TS à avoir déclaré des rapports sexuels forcés ou avoir subi des actes sexuels contre leur volonté est importante. Au cours de leur vie, que ce soit dans l’enfance ou à l’âge adulte, 18.2% des TS ont déclaré ce type d’abus. Cette proportion est bien supérieure à celle mesurée auprès de femmes interrogées en Suisse en 2003 (10.7%) dans une étude internationale sur la violence envers les femmes (IVAWS).
L’âge moyen au premier rapport sexuel forcé est de 13.9 ans (âge médian à 12 ans, min-max : 1-48 ans). Un peu moins des deux tiers (62.7%) avaient moins de 16 ans.
Consommations de substances
La consommation de substances est importante au sein de la population des TS et bien supérieure à celle de la population générale suisse (données comparées au Monitorage suisse des addictions). Les substances les plus fréquemment consommées de manière régulière au cours des douze derniers mois sont le tabac (45.9%), l’alcool (25.5%), les somnifères (5.2%), le cannabis (5.1%) et les antidépresseurs (3.8%).
Au cours de la vie, 4% des TS (n=22) ont déclaré avoir déjà consommé des drogues par injection.