Effets des produits phytosanitaires sur la santé des travailleurs agricoles
Grâce au financement du Secrétariat d'Etat à l'Economie, les chercheurs de Unisanté ont mené une étude visant à recenser les données épidémiologiques disponibles sur l’exposition professionnelle aux produits phytosanitaires et certaines pathologies chez les adultes actifs dans le domaine de l’agriculture.
Résumé du rapport
De récentes études épidémiologiques ont mis en évidence un lien de présomption entre l’exposition professionnelle aux produits phytosanitaires et certaines pathologies chez les adultes actifs dans le domaine de l’agriculture. Il est toutefois difficile d’interpréter de telles études et d’en utiliser les résultats dans le cadre d’analyses de risque réglementaires. Le but de cette étude est de présenter un aperçu des données épidémiologiques disponibles relatives aux effets sur la santé des produits phytosanitaires utilisés par les professionnels agricoles. Les résultats de cette étude contribueront au développement d’une politique orientée sur des données factuelles en matière d’exposition professionnelle aux produits phytosanitaires des travailleurs du domaine agricole en Suisse.
En raison de l’étendue du thème étudié, nous avons eu recours à une méthode itérative, c’est-à-dire à une méthodologie de recherche effectuée en cinq étapes. Chaque étape a évalué un aspect différent de l’exposition professionnelle aux produits phytosanitaires et de leurs effets sur la santé. Plusieurs sources de littérature scientifique ont parfois été analysés selon les cas. Ce processus itératif a permis d’identifier des tendances dans les résultats en fonction des différentes sources de littérature et des procédures sélectionnées.
Les données recueillies en Suisse révèlent un manque évident d’information en ce qui concerne la quantité de substances actives utilisées, les scénarios et les niveaux d’expositions aux produits phytosanitaires des travailleurs agricoles et les effets potentiels sur la santé. Ces observations soulignent la nécessité de développer des campagnes de recherche ciblées visant à clarifier la nature de ce risque pour la population agricole suisse.
Les données rapportées par les études internationales apportent une base de connaissances importante et sur laquelle de futures études pourront s’appuyer. La littérature répertorie des milliers d’études épidémiologiques examinées par les pairs et publiées sur le thème de l’exposition professionnelle aux produits phytosanitaires et de leurs effets sur la santé. Les résultats de ces études révèlent dans leur globalité une association importante entre l’exposition professionnelle aux produits phytosanitaires et certains effets sur la santé des populations agricoles exposées.
En ce qui a trait spécifiquement à l’exposition, cette étude a identifié plus de 330 substances actives actuellement autorisées en tant que produits phytosanitaires en Suisse. Plusieurs de ces substances actives, dont les herbicides 2,4-D (acide 2,4-dichlorophénoxyacétique), MCPA (acide 2-méthyl-4-chlorophénoxyacétique), mecoprop et glyphosate ainsi que l’insecticide chlorpyrifos et le fongicide mancozeb, se sont révélés avoir un lien de présomption modéré à élevé avec certains effets chroniques néfastes pour la santé. Plus précisément, il a été constaté que ces six substances actives présentaient un lien de présomption faible à modéré avec les cancers hématopoïétiques. De plus, le mancozeb présente un faible lien de présomption avec la maladie de Parkinson (MDP), et le chlorpyrifos et le glyphosate auraient un lien de présomption modéré avec le lymphome non-Hodgkinien (LNH).
Les résultats de cette étude apportent une précision à la notion communément admise selon laquelle les travailleurs agricoles seraient globalement en meilleure santé que le reste de la population. Même si la santé des travailleurs agricoles paraît globalement meilleure que celle des autres populations, nos résultats indiquent leur santé professionnelle est en revanche considérée comme l’une des plus précaires de toutes les professions confondues. En effet, l’agriculture dans l’ensemble des pays industrialisés est l’une des professions les plus à risque.
La présente étude montre que même si les professionnels de l’agriculture affichent un taux de mortalité plus bas que le reste de la population, ils sont néanmoins plus à risque de développer certaines maladies spécifiques associées à l’exposition de produits phytosanitaires. La littérature démontre que cette population a un risque plus élevé de développer deux types d’effets sur la santé: une cancérogénicité spécifique à certains organes et une neurotoxicité.
Les populations agricoles ont un taux global de mortalité dû au cancer plus faible que le reste de la population. Toutefois, les taux significativement plus faibles de cancer du poumon dans cette population expliquent à 60 % la différence avec la population générale. De fait, le taux de fumeurs est nettement plus faible parmi les populations agricoles et ces populations ont également un style de vie généralement plus sain. Ces précisions sont essentielles à considérer pour comprendre l’évolution épidémiologique dans cette population. Les résultats groupés d’études prospectives de cohorte révèlent que les travailleurs agricoles encourent un risque plus élevé de développer des cancers spécifiques comme les cancers hématopoïétiques (leucémie, LNH, myélome multiple), le sarcome des tissus mous, le cancer de la peau, de la prostate, des testicules, de l’estomac et du cerveau.
Quant aux effets neurotoxiques, plusieurs études épidémiologiques démontrent la présence d’un lien de présomption générique entre la MDP et l’exposition professionnelle aux produits phytosanitaires. La méta-analyse la plus récente et la plus concluante d’un point de vue scientifique montre qu’un travailleur agricole exposé à un produit phytosanitaire donné a 50% ou plus de risque de développer la MDP. De plus, un lien de présomption manifeste est également constaté entre la MDP et l’exposition professionnelle aux herbicides et aux insecticides. Davantage de données sont par ailleurs nécessaires pour ce qui est de l’exposition professionnelle à certaines catégories de produits phytosanitaires ou à certains ingrédients actifs. Toutefois, il existe un lien de présomption évident entre la MDP et l’exposition professionnelle aux organochlorés, ainsi qu’un lien de présomption modéré entre la MDP et l’exposition professionnelle au paraquat et à la roténone.
Cette étude a donc permis de réduire l’étendue du champ de la question de recherche à des expositions (p. ex. à des substances actives) et à des effets cliniques plus spécifiques. Les résultats apportent un aperçu précis de la thématique et constituent un point de départ ciblé pour de futures enquêtes épidémiologiques. En considérant le nombre croissant de données attestant un lien de présomption entre l’exposition aux produits phytosanitaires et certains effets chroniques et le manque général de données relatives à la situation en Suisse, il devient primordial d’intensifier les études de recherche sur ce problème de santé au travail. Les recommandations de ce rapport peuvent favoriser l’élaboration de politiques fondées sur des données factuelles et contribuer à mieux promouvoir la santé et la sécurité des travailleurs agricoles en Suisse et de la population dans son ensemble.